Chapitre 5 : les mentors (et leurs fils spirituels)
Mentor (n.m.). Guide attentif ; conseiller expérimenté (Le Petit Larousse, 1999)
Une carrière scientifique peut-elle se faire sans mentorat, ou en reprenant un mot très à la mode, « coaching » ? Un chercheur peut-il contribuer à la pyramide de la connaissance tout seul dans son coin ? Quelles grandes découvertes ont été faites par un seul homme ? Même le grand Charles DARWIN était entouré d’une équipe de collaborateurs et sa théorie de l’évolution n’aurait pas émergée sans l’émulation (et parfois la compétition) de ses contemporains comme le naturaliste-explorateur Alfred Russell WALLACE… et peut-être sans l’ornithologue John GOULD pour lui identifier ses célèbres « pinsons » ! Qu’aurait été Pierre CURIE sans Marie SKLODOWSKA, ou Albert EINSTEIN sans Mileva, son inconnue d’épouse. L’histoire des sciences a trop souvent oublié ces collaboratrices douées, dévouées -et aimantes- travaillant dans l’ombre de leur illustre mari.
Les mentors (ou plus pudiquement "tuteurs" dans le monde académique de la recherche et l'enseignement supérieur) sont comme les références bibliographiques, il est préférable d’en avoir consulté plusieurs pour se faire une bonne idée de la question que l'on se pose, et éviter par la même occasion l’endoctrinement et le mandarinat aveugle. J’ai eu la grande chance d’avoir été "inspiré", "parrainé" ou "cornaqué" par plusieurs scientifiques d’origine, de discipline, de culture et de caractère très différents -tous aujourd'hui (en 2016) malheureusement retraités- : parmi eux, Jean DEXHEIMER, professeur d'écologie végétale de l'Université de Nancy qui m'écrivait en 1998, dernière année avant sa retraite, que "les vieux naturalistes rêveurs et ringards ne sont plus écoutés" ; Jacques FLORENCE (1951-), l’un des derniers botaniste-systématiciens français encore capable de rédiger une diagnose d’espèce en latin, grand défenseur de la langue de Molière, qui m'a transmis un peu -beaucoup trop selon d'autres- de son esprit critique, son perfectionnisme et sa rigueur, et un certain sens de la non-compromission ; Lloyd L. LOOPE (1943-2017) et Art C. MEDEIROS (1955-), deux biologistes-naturalistes de Hawaii pour leur pragmatisme et réalisme -très américain-, leur multidisciplinarité associée à une grande ouverture d’esprit et curiosité ; Randy THAMAN (1943-), biogéographe et ethno-biologiste de l’University of South Pacific à Fidji, pour son enthousiasme et dynamisme contagieux, et son apprentissage du "Pacific Way of Life" et des "Cool Spots"; enfin l’ornithologue Jean-Claude THIBAULT (1949-) pour sa réactivité et sa productivité dans les publications, sa persévérance malgré les tourmentes et sa grande patience sur le terrain. De nombreux autres chercheurs, collègues et étudiants m’ont démontré que le travail en équipe était à la fois plus efficace et avec de meilleurs résultats, tout en évitant le syndrome de la « grosse tête » ou « des chevilles qui enflent » qui guettent le (pseudo-)scientifique trop isolé et rempli de certitudes.
Le rôle des mentors est à la fois de transmettre un « pool » de connaissances acquises, de conseiller et de guider les apprentis-chercheurs pour qu’ils partagent certaines valeurs, théories et idées, qu'ils poursuivent les voies tracées (qui sont parfois des sentiers à peine défrichés), mais aussi une façon de s'assurer d'une certaine « éternité scientifique ». La satisfaction du mentor est qu’un jour l’élève dépasse le maître, mais avec parfois le risque que le(s) fils spirituel(s) tue(nt) leur "père et pair" en reniant l’héritage transmis et en passant « du côté obscur »…
("Angelheart Vial", dessin de Chippy)