Martin Lawrence GRANT est né en 1907 dans le Michigan (USA), meurt d'un cancer en 1968, à l'âge de 59 ans. Il soutient une thèse (PhD) à l'Université du Minnesota en 1936 puis enseigne la biologie comme professeur à l'University of Northern Iowa. A 23 ans, il épouse Dorothy SWEET (sic !), enseignante dans une école d'infirmière avec qui il a trois enfants (elle a été sa secrétaire et son assistante dévouée jusqu'à leur divorce en 1947 où elle l'accuse de violence conjugale...et décède en 2006, à l'âge de 101 ans !).
Il entreprend dans la foulée, grâce à une bourse de l'Université de Yale-Bishop Museum de Honolulu un voyage de 2 ans (du 28 avril 1930 au 03 mars 1931) dans les îles de la Société : Tahiti, Moorea, Bora Bora, Huahine, Raiatea, Tahaa, l'atoll de Tupai et l'îlot de Mehetia. Son carnet de voyage et ses notes de terrain (rassemblés dans un manuscrit typographié non publié "Journal in the Society Islands, 1930-31" sont une mine d'information sur la flore et la végétation de ces îles mais également sur la société polynésienne et la communauté scientifique de l'époque, décrites avec une multitude de petits détails (noms de personnes et de localités, vêtements, nourriture, etc.) et parfois beaucoup d'humour : "to my great disgust, one of the conspicuous elements of the floral decoration [du Café Mariposa, très populaire dans les années 20-30, situé à l'ancien Quai du Commerce à Papeete] was a species of Lycopodium I had climbed up over 3000 feet to pick".
Son étonnante maturité, sa grande curiosité scientifique et sa soif de découverte (il fait seul le tour de Tahiti en bicyclette en 9 heures et demi !) en font un exemple pour notre jeune génération. Mais trop perfectionniste, très éclectique et pris dans des occupations multiples et diverses (il enseigne même dans une université de la région de Shiraz en Iran), il n'a malheureusement rien publié sur les îles de la Société de son vivant. Il faudra attendre 1974 pour voir la publication dans le numéro 17 du Smithsonian Contribution of Botany, d'un ouvrage posthume intitulé "Partial Flora of the Society Islands: Ericaceae to Apocynaceae" (par M. L. GRANT, F. R. FOSBERG and H. M. SMITH) basé sur ses collectes (environ 2000 spécimens) et d'un manuscrit datant de 1937.
GRANT & les plantes : l'utilisation, dans son journal, des noms vernaculaires en tahitien des plantes et animaux à la place des noms scientifiques est surprenante pour un botaniste (américain de surcroît !), mais montre son attachement à la langue polynésienne qu'il étudie entre deux conditionnements de ses spécimens d'herbier (ou peux-être aussi à une certaine méconnaissance de la flore polynésienne qu'il découvre au fur et à mesure avec ses guides tahitiens ?). Il nomme également quelques insectes et vertébrés (oiseaux, mammifères, poissons, reptiles et amphibiens*) observés lors de ses prospections sur le terrain. Selon le botaniste Raymond FOSBERG du Smithsonian Institution de Washington, GRANT aurait découvert dans les îles de la Société une soixantaine d'espèces de plantes nouvelles pour la science.
GRANT & les scientifiques : il rencontre le prof. William A. SETCHELL, alors chef du Département de botanique de l'Université de Californie à Berkeley (et auteur de "Phytogeographical Notes on Tahiti" publié en 1926), et E. S. COPELAND, spécialiste des fougères du Pacifique, à l'herbier où il étudie avant son voyage, se lie d'amitié à Tahiti avec le linguiste J. Frank STIMSON, l'archéologue Kenneth P. EMORY du Bishop Museum de Honolulu, et le géologue J. M. CLEMENTS, croise les entomologues A. M. ADAMSON et E. P. MUMFORD de la "Pacific Entomological Survey" en transit pour les Marquises, et le botaniste John W. MOORE de retour d'un séjour de 9 mois à Raiatea pour y étudier la flore. Il rencontre également Tu(tavae) TEMARII, le petit-fils de Jean NADEAUD (alors chef du district de Hitia'a, âgé de 50 ans, qui lui donne les noms tahitiens de 125 espèces de plantes et qui décèdera en 1947), l'écrivain Charles NORDHOFF, ainsi que l'ornithologue Eastham GUILD et Harrison W. SMITH, "the eccentric Harvard man who settled in Tahiti after several years in Malaysia", résidents à Tahiti. A la presqu'île, il croise deux ermites - et végétariens !- "the famous nature men of Tahiti", vivant sur la côte sauvage et inhabitée du "Pari" depuis 3 ans, le français Francis DUBOIS et le franco-allemand Frederick PFEIFFER.
GRANT & les femmes : tout jeune marié avec "Do", il résiste trois mois à la tentation des belles "vahine" qu'il décrit néanmoins avec enthousiasme, jusqu'à l'arrivée de son épouse en juillet 1930 : "Miss Marguerite Laberge, as French as they make them, about 25. She adopted me before the trip was over" ; "He has a private secretary, one Mrs (fortunately) Quinn who seems to be the most attractive type of native girl I have yet seen" ; "Went to dance in the evening at the Mariposa, and finally got up enough courage to try a swing with the natives...I danced with girls from America, England, and Chili, not to mention all the various percentages of Tahitian and French represented. The prettiest girl was half French and half Tahitian" ; "I went downstairs and spent a couple of hours with two Tahitian girls, learning French and Tahitian songs" ; "I met so many eligibles I was almost (almost) sorry I wasn't eligible myself" ; "The rumor has come back from me that I has been consorting with one of the servant-girls, Tehani, at Aina Pare. I suppose someone will write to poor Dorothy" (sic !).
GRANT & ses guides polynésiens : malgré des tentatives épiques (et infructueuses !) pour atteindre les sommets de l'Orofena (Orohena) et du Ronui sur la presqu'île de Tahiti Iti, il monte au sommet du mont Aorai (déjà prospecté par le botaniste Jean NADEAUD en 1858), les plus hauts sommets de Huahine et de Tahaa, le mont Pahia à Bora Bora et le plateau du Temehani à Raiatea. Parmi ses guides figurèrent Albert NIMAU, Tefaitotuvanataimoe URARII, Ernest TABANOU...dont la philosophie n'a pas vraiment trop changé aujourd'hui : "A proverb of both the Tahitians and the French is: Tomorrow is just as good a day as today... if not better".
*Le mystère GRANT : il y avait-il des grenouilles (il mentionne deux fois "frogs" lors de son ascension du mont Aorai le 5 novembre 1930, à une altitude comprise entre 1000 et 1100 m) dans les forêts montagnardes à Tahiti dans les années 30 ? L'abbé Emmanuel ROUGIER (1804-1932), dans un article publié dans le Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes en 1926 (N°12, pages 40-41), écrivait que "le navire Makura du mois de mars a apporté 34 grenouilles qui ont été immédiatement lâchées bien vivantes en contrebas des sources de la Reine [à Papeete], chez M. le Gouverneur [Louis RIVET (1869-1933)], or on en a pas revu une seule". S'agit-il de ces grenouilles qui se seraient acclimatées, échappées, reproduites et dispersées plus en altitude ?