La description et publication récente d'une nouvelle espèce de carabe, Mecyclothorax perraulti (Coleoptera, Carabidae, Psydrini, photo ci-dessous), découverte sur le mont Tohiea, plus haut sommet de l'île de Mo'orea (culminant à 1207 m) avec 6 autres espèces endémiques, par l'entomologiste américain James "Jim" LIEBHERR de Cornell University, lors d'une expédition héliportée organisée durant le programme "Moorea Biocode" en 2006 (http://www.pensoft.net/J_FILES/1/articles/3675/3675-G-3-layout.pdf), est l'occasion de rendre hommage à Georges G. PERRAULT, disparu le 6 juillet 1994 à l'âge de 60 ans.
J'avais contacté l'année suivante, en juin 1995, - par erreur en raison d'une quasi-homonymie ! - son frère Gérard H. PERRAULT, spécialiste des fourmis, pour obtenir des "tirés-à-part" (pour la jeune génération qui télécharge instantanément les articles en format .pdf sur Internet, il s'agissait des copies imprimées et reliées - parfois sur papier glacé - que les auteurs recevaient de l'éditeur plusieurs mois après publication de leurs articles, et qui étaient ensuite envoyées aux collègues sur demande écrite - via parfois de jolies petites cartes spécialement faites à cet effet -) de tous les articles de G. G. PERRAULT traitant de la "faune carabologique", célèbre par sa radiation évolutive du genre Mecyclothorax, avec près d'une centaine d'espèces endémiques connues sur l'île de Tahiti.
Ironiquement, G. G. PERRAULT, qui a pourtant parcouru les forêts tropicales et les montagnes d'Amérique du Sud (dont la Cordillère de Merida au Venezuela, culminant à plus de 4980 m), n'a jamais mis les pieds à Tahiti ! Tous les spécimens (plus d'un millier) qu'il a étudié proviennent des "chasses" de Jean GOURVES entre 1972 et 1978 et de son frère Gérard qui a effectué plusieurs courts séjours sur l'île entre 1971 et 1981. Les premières récoltes de Mecyclothorax ont été faites en 1934 sur le mont Aorai par une expédition dirigée par le célèbre entomologiste américain Elwood Curtin ZIMMERMAN (1912-2004) lors de la "Mangarevan Expedition" du Bishop Museum d'Honolulu, avec 4 espèces décrites en 1938.
Les 67 espèces endémiques décrites par G. G. PERRAULT ont été découvertes sur 4 principaux massifs montagneux, entre 800 et 2000 m d'altitude : 22 espèces au mont Marau (culminant à 1493 m), 28 au mont Aorai (2066 m), 7 au dessus des Mille Sources vers le mont Pihaiateta entre 900 et 1200 m, et 17 au mont Atara (1197 m) sur la presqu'île de Tahiti (haut du plateau de Taravao). Seules trois espèces sont communes à plusieurs massifs, ce qui conduit "à un taux de microendémisme par massif de 96%" dixit PERRAULT. Les deux plus hauts sommets (Pito Hiti culminant à 2110 m et Orohena à 2240 m) n'avaient pas été prospecté à l'époque, mais une expédition héliportée sur Pito Hiti que nous avions organisé en 2006 a permis la découverte par l'entomologiste Elin CLARIDGE (UC Berkeley) d'une vingtaine d'espèces nouvelles, encore non décrites...Jim LIEBHERR a également découvert et récemment décrit 7 nouvelles espèces au mont Mauru sur la côte est de Tahiti, entre 700 et 1100 m, et estime qu'il n'a échantillonné que la moitié ou le quart des espèces existantes sur ce massif culminant à 1360 m !
PHOTO (cliché : JYM) : Elin CLARIDGE collectant sous le sommet du mont Pito Hiti (ou Pito Iti) en végétation subalpine vers 2100 m d'altitude en juin 2006.
Le travail de G. G. PERRAULT soulève deux points particulièrement intéressants sur les processus évolutifs et écologiques à l'origine de la diversité et de l'assemblage d'espèces insulaires terrestres :
- la forte diversification du genre Mecyclothorax sur l'île de Tahiti peux paraître surprenante car la majorité des espèces ont été récoltées "dans les mêmes biotopes", en particulier par battage de la végétation (mais également par des pièges au sol) le plus souvent le long des crêtes ou dans les petits vallons suspendus. L'interprétation de cette "explosion spécifique" est celle d'un patrimoine génétique présentants de nombreuses possibilités de mutations sur l'ensemble des caractères morphologiques, une séparation des niches (espèces épigées versus arborées) et un isolement des massifs ayant conduit à des différenciations par isolement reproductif des populations, les espèces tahitiennes étant toutes aptères (alors que les espèces australiennes sont ailées).
- l'absence d'espèces à basse altitude pourrait s'expliquer selon G. G. PERRAULT soit par un facteur climatique (température, hygrométrie) limitant leur extension, soit par la concurrence alimentaire de la part d'autres prédateurs plus efficaces (les carabes sont en effet carnivores) que sont les fourmis, déjà très abondantes en dessous de 500 m dans les années 1970-80 et pouvant conduire à l'élimination (ou l'exclusion) des carabes. Le réchauffement climatique associé à une possible expansion de l'aire de répartition en altitude de certaines espèces envahissantes pourraient contribuer à l'extinction en masse des Mecyclothorax endémiques trouvés à haute altitude...
Une analyse phylogénétique et phylogéographique du genre, incluant les espèces australiennes, néo-zélandaises, hawaiiennes, néo-calédoniennes, de Nouvelle-Guinée ou des Philippines, permettrait certainement d'apporter un nouvel éclairage sur cette radiation évolutive exceptionnelle en Polynésie française. Combien d'espèces de Mecyclothorax pourraient être encore encore découvertes à Tahiti, à Moorea et peut-être Raiatea qui possède une crête sommitale dépassant 1000 m ? Avis aux amateurs(trices) !
Post-Scriptum. Une biographie de G.G. PERRAULT, accompagnée par la liste de ses travaux, a été publiée en 1994 dans la "Nouvelle Revue d'Entomologie" : DOGUET, S. 1994. Georges Perrault (31 juillet 1934-6 juillet 1994). Nouv. Rev. Ent. (N.S.), T. 11, Fasc 4: 311-320.